*

 

 

 

 

 

 

 

 

Accueil >> Musique >> Interviews >> Alice In Chains
Alice In Chains

Groupe de rock
Guitarist Magazine n°146 - Juin 2002

Entretien accordé par le guitariste Jerry Cantrell peu de temps après la sortie de son album solo "Degradation Trip" et la mort tragique (overdose) du chanteur Lane Staley.

Question
: On a juste envie de te demander comment tu te sens aujourd'hui, sans faire le moindre commentaire déplacé?

Réponse : Je ne me sens pas bien du tout et ça m'est vraiment difficile de t'en parler maintenant. J'ai perdu en même temps l'un de mes meilleurs amis, mon partenaire le plus créatif et mon groupe, tout sempble s'être écroulé du jour au lendemain. C'est un coup terrible! Tout ce que je peux faire personnellement est de continuer et parfois je ne sais pas comment. Mais j'y arriverai.

Question : Quand as-tu écrit les chansons de "Degradation Trip"?

Réponse : Peu de temps après la sortie de "Boggy Depot" en 1998. J'ai tourné en première partie de Metallica pendant l'été, et ensuite en solo jusqu'au mois de novembre. Littéralement une semaine plus tard, j'ai commencé à travailler sur le nouvel album.

Je me suis enfermé chez moi et c'est difficile à expliquer, mais j'ai écrit 25 chansons qui représentent exactement ce que je ressentais au moment où je les ai écrites. De toutes façons je ne suis pas le genre d'auteur capable de s'asseoir pour composer dans un style donné, je ne pourrais pas faire cela.

Question : D'où viens le titre de l'album?

Réponse : "Degradation Trip"? C'est exactement ce qui m'est arrivé pendant que je travaillais sur cet album. Tout semblait s'écrouler autour de moi, le chaos total. J'ai commencé en pensant que le disque allait sortir sur le label Columbia, qui s'occupait d'Alice In Chains, mais j'ai eu des problèmes avec eux parce que je voulais le contrôle total de ce que je faisais.

En résumé, je proposais de leur amener le master terminé et ils le sortaient tel quel. Ils voulaient me "conseiller" ce que je devais faire et j'ai refusé. Finalement, ils m'ont coupé les vivres en plein milieu du projet. J'étais en fin de contrat. "Degradation Trip" aurait été mon dernier album pour eux de toute façon. Je me suis retrouvé avec ma musique, mais sans argent et j'ai hypothéqué ma maison pour continuer à travailler sur l'album.

J'étais seul, plus de label et pas de manager. J'étais sans producteur également, j'avais commencé avec Dave Jerden et nous nous sommes séparés parce que nous ne voyions plus les choses de la même manière.

Question : Que s'est-il passé ?

Réponse : Je pensais que nous arriverions à enregistrer un grand album ensemble. Avec les chansons que j'avais, j'étais sûr qu'il était le producteur qu'il me fallait. Dave a produit « Dirt » pour Alice In Chain et c'est l'un de mes disques préférés du groupe, avec exactement le son brutal que je recherchais pour « Dégradation Trip ».

Mais je ne sais pas pourquoi, nous n'avons pas pu trouver un terrain d'entente, nos rapports étaient agressifs et stériles. Je crois que Dave a flippé sur ma situation, il n'y croyait plus. Alors je l'ai viré et j'ai commencé à produire l'album moi-même. J'ai engagé un ingénieur du son, Jeff Tomei et il est tellement bon qu'il a fini par co-produire avec moi. Jeff est phénoménal, un grand fan de George Martin et des Beatles et cela s'entend sur mon disque. A partir du moment où j'ai commencé à travailler avec Jeff; tout a commencé à aller mieux, tout est devenu plus positif.

Question : Le groupe que tu as formé pour t'accompagner en studio, par exemple ?

Réponse : Exactement. Mike Bordin, le batteur de Faith No More, et Robert Trujillo, bassiste de Suicidal Tendencies. Ils jouent aussi avec Ozzy. Leur son est incroyable, ce n'est pas un groupe venu juste m'accompagner pour repartir le lendemain, c'est un vrai groupe !

J'ai d'abord parlé à Mike Bordin et le courant passait entre nous. Je lui ai donné une bande de mes chansons en lui recommandant spécifiquement de ne la faire écouter à personne, mais il l’a passée à Trujillo et je lui en ai vraiment voulu pendant à peu près une journée. Mais il m'a proposé de faire un test en studio tous les trois et, dès que nous avons commencé à jouer, il était évident que c'était la bonne configuration. Mike et Robert jouent avec Ozzy Osbourne depuis plus de deux ans maintenant. Je crois que Bordin a aussi fait quelques concerts avec Black Sabbath, je pense qu'il a joué en studio avec eux aussi.

Question : "Degradation Trip" est beaucoup plus rock, voire heavy, que Boggy Depot. À quoi tient la différence ?

Réponse : Dans mon attitude d'abord, j'ai volontairement cherché des riffs de guitare killer. C'est certainement très différent de « Boggy Depot », où il y avait beaucoup d'invités de marque, Les Claypool de Primus, Norwood Fisher de Fishbone, Rex Brown de Pantera, et Mike Inez. C'est bien mais cela peut aussi restreindre un peu l'énergie parfois. Sur « Degradation Trip », c'est juste Mike, Robert et moi, à haute puissance et il n'y a qu'un seul invité, Chris De Garmo (ex Queensrÿche), sur "Anger Rising".

Question : Quels sujets abordes-tu dans tes chansons ?

Tout ce qui constitue ma vie. "Angel Eyes" évoque la seule fille que j'ai aimée, et je l'aime encore. Son nom est Courtney mais ce n'est pas la Courtney (Love) à laquelle vous pensez, heureusement ! Nous nous parlons toujours et elle me manque terriblement, elle a laissé une marque indélébile dans ma vie. J'ai dû m'habituer à vivre sans elle. Elle m'a quitté avant que j'écrive les chansons de « Degradation Trip » et j'ai dû m'accoutumer à la solitude.

C'est un peu pour cette raison que je me suis enfermé chez moi comme un savant fou, en écrivant toutes ces chansons. Cela a provoqué en moi une tempête de créativité dont je n'avais jamais fait l'expérience avant ce disque. Quand j'attaquais une chanson, il m'était impossible de la laisser avant qu'elle soit terminée.

Question : Il y a d'autres thèmes, comme "Anger Rising"...

Réponse : C'est une sorte de montage composite de souvenirs d'enfances, les miens, mais aussi ceux d'autres gens avec qui j'en ai parlé. Toutes les injustices que tu peux subir et la colère inexprimable que cela provoque en toi, mais aussi le fait de grandir et d'aller au-delà de cette colère. Je crois que ma conclusion est qu'il faut savoir accepter le passé, et continuer à avancer, à la fin il y a toujours un moyen de pardonner. J'ai aussi écrit "Bargain Basement Howard Hughes" pour décrire ce qui m'arrivait pendant que j'étais enfermé chez moi.

Howard Hughes était un milliardaire célèbre mais il a passé les vingt dernières années de sa vie dans son lit, sans jamais voir personne ni sortir de chez lui. Dans mon cas c'est aussi autobiographique, mais cela n'a duré que quelques mois.

Question : Quelle est ta méthode d'écriture?

Réponse : Il faut que ce soit naturel. Je ne fabrique pas de l'angoisse au kilomètre. Je sais de quoi il s'agit parce que j'ai essayé de faire exactement cela au début d'Alice In Chains, il y a plus de dix ans. Mais ça ne fonctionne pas, je peux seulement écrire quand j'ai un besoin brûlant de le faire. Je trouve un riff et les paroles viennent d'elles-mêmes. C'est un processus qui n'est pas cérébral, je ne tiens pas de journal personnel, tout est dans ma tête. Par contre, j'enregistre toute mes idées sur un petit 4-piste portable. Tout ce dont j'ai besoin est dans mes guitares et dans le portable. Une électrique, une acoustique et le 4-pistes, c'est comme cela que j'ai écrit l'album.

Question : Tu as écrit vingt cinq originaux, mais il n'y en a que douze sur « Degradation Trip ». Que vas-tu faire des autres titres ?

Réponse : Au départ c'était supposé être un double CD, avec toutes les chansons. Mais après avoir signé avec mon nouveau label, Roadrunner, j'ai pensé qu'il serait mieux de diviser le tout en deux albums. Le second sortira l'année prochaine.

Question : Mentalement, est-ce difficile pour toi d'être passé du rôle de guitariste d'Alice In Chains à celui d'artiste solo qui occupe le devant de la scène ?

Réponse : Bien sûr, mais là encore c'est une question d'évolution. J'y travaille sans arrêt et maintenant j'ai un peu plus d'expérience dans ce domaine. Je me sens un peu plus à l'aise que pendant la tournée « Boggy Depot ». Je ne dirais pas cependant que c'est naturel pour moi. Il y a des jours où je voudrais être juste un guitariste qui s'occupe des solos et fait quelques choeurs dans le micro plutôt que d'avoir à chanter sur chaque chanson du répertoire.

Cette période de ma vie me manque parce que j'ai l'impression que j'avais alors plus de liberté. Je crois que je préférais être avec Mike Inez, à l'arrière de la scène, et m'avancer de temps en temps pour un solo. Je pouvais aussi bouger plus, secouer la tête, sans avoir à me préoccuper de garder mon souffle pour chanter. Maintenant, il faut que je porte une plus grande attention au moment exact où je dois commencer à chanter. Je suis plus attaché au centre de la scène, les gens me regardent et me jugent. Le micro de chanteur principal me restreint, mais je commence à trouver mon rythme et je sais maintenant séparer le chant et les solos, sans perte inutile d'énergie.

Question : Tu a décidé de refaire plus souvent de la scène ?

Réponse : J'ai fait une tournée avec les nouvelles chansons, des concerts dans des clubs, avec une audience en majorité punk. C'était super, nous avons joué des titres d'Alice In Chains aussi. Je n'avais pas joué ces morceaux depuis longtemps et il y avait pour moi une énergie magnétique très intense quand je les chantais. Le public devenait fou à chaque fois que je ressortais ces titres, alors j'ai établi un répertoire qui comprend une moitié de mes chansons et l'autre moitié vient d'Alice In Chains. Nous jouons en tout pendant une heure et demi.

Question : Tu te sens toujours connecté à Alice In Chains ?

Réponse : Oui, et ce sera toujours ainsi. Cela fait partie de ma vie, c'est aussi mon expérience personnelle...

Question : Tu vas tourner ailleurs aux Etats-Unis et ailleurs ?

Réponse : Tout l'été, nous avons prévu pas mal de concerts, dont une bonne vingtaine de dates avec Nickelback, mais aussi des show cases en radio, je pense aussi venir jouer en Europe. Il est possible que je participe au festival Ozzfest. Je n'ai jamais joué en Europe auparavant, même avec Alice In Chains. Ce sera intéressant de découvrir la mentalité d'un festival européen, j'ai participé à beaucoup de festivals US et je suis curieux de voir s'il y a une différence.

Question : Que penses-tu de la nouvelle vague de Nu-Metal?

Réponse : J'espère que cela génèrera un nouveau son plus rock, nous verrons bien. La musique doit changer pour rester fraîche. C'est comme labourer un champ, il faut retourner de la terre nouvelle et enterrer celle qui était à la surface pour obtenir quelque chose de nouveau, mais là encore la terre ancienne finit toujours par refaire surface, elle est toujours là, en tous cas.

Je crois qu'avec ce disque je suis là au bon moment. Je suis fier de cet album, il reste à voir ce qu'en pensera le public, mais en ce qui me concerne, je sais que j'ai fait quelque chose qui signifie beaucoup pour moi et je peux vivre avec cela, je me sentirai bien en le communiquant sur scène, en le jouant pour le public.

Question : Où vis-tu actuellement?

Réponse : Dans le ranch de mon père en Oklahoma, il y a des chevaux et du bétail. Le ranch est dans la famille depuis longtemps mais mon père et moi avons construit une maison confortable et c'est un endroit où je peux me retirer du monde quand il le faut. C'est une terre sacrée dont ma famille a les droits depuis que l'Oklahoma est devenu un état. Avec la vente du bétail, nous arrivons à nous suffire à nous-même et c'est ce qui est important. Mon album solo précédent faisait allusion à ce ranch, le sud ouest de l'Oklahoma est appelé Boggy Department. Mais je n'en dirai pas plus à vous de chercher si vous voulez me trouver.

 


touche F11 pour le plein écran !! - Résolution 800 x 600

Accueil | Musique | Excel | Liens Web | Contact !! |