Ben Harper

Question : Tu as baigné dans la musique depuis ta plus tendre enfance, cela doit quand même donner une certaine confiance ?

Réponse : C'est vrai que ma grand-mère était chanteuse guitariste de country blues, ma mère aussi, formidable avec une voix exceptionnelle et un jeu acoustique parfait. Elle reprenait Mississippi John Hurt, Elmore James, Elisabeth Cotten ou Blind Willie Johnson à merveille, mais cela ne me branchait pas à l'époque.

Mon truc c'était Hendrix, avec un de mes potes on se prenait pour l'Experience. Ce n'est qu'après que j'ai commencé à apprécier ce que jouait ma mère. D'abord timidement. Il faut dire que cela m'isolait parce que cela n'intéressait aucun de mes copains, tu aurais vu leur tête quand j'essayais de leur faire écouter Robert Johnson ! Cela a changé depuis. Peu à peu, cette musique est devenue une vraie passion, et je me suis mis à piquer les plans de ma mère.

Question : Lesquels ?

Réponse : Surtout l'espèce de brossé qu'elle pratiquait avec le pouce et les doigts, tout est là-dedans. Cela permet de développer son feeling naturel, sans intermédiaire entre toi et l'instrument dont tu ressens beaucoup plus physiquement les vibrations. Et tu peux beaucoup plus aisément en moduler le son, le contrôle de la dynamique, les harmoniques, les finesses et l'attaque.

Question : Ta famille tenait un magasin d'instruments de musique...

Réponse : Oui, et pas n'importe lequel, le Folk Music Center. Un magasin exceptionnel où l'on peut trouver des guitares, des dobros, des dulcimers mais aussi des instruments beaucoup plus exotiques comme le oud.

Question :Tu as été vendeur de guitares ?

Réponse : Pas vraiment, mais j'aidais mes parents, je m'assurais que les instruments soient bien réglés. C'était surtout cela qui me branchait, tellement que j'ai fini par aller travailler chez un luthier. J'y suis même resté cinq ans pendant lesquels cet homme de l'art qui avait fait carrière chez Gibson, avant la deuxième guerre mondiale, m'a appris une foule de trucs.

Question : Tu t'en sers aujourd'hui ?

Réponse : Je n'ai plus vraiment le temps, mais cela m'intéresse toujours autant. Et cela m'a permis de glisser quelques idées, applicables, au luthier qui a réalisé la guitare Weissenborn électrique que je me suis faite construire il y a deux ans.

Cela me fait aussi estimer à sa juste valeur l'essence dans laquelle est taillée le manche mon Weissenborn acoustique des années 30. Du koa, tu réalises de quand date l'arbre qui a été coupé pour le faire ? Tu vois, la guitare est inséparable des racines.

D'ailleurs, s'il y a quelque chose qui me fait vraiment plaisir, en dehors de l'excitation de ma propre évolution, c'est cela. Avoir contribué à ce qu'une partie du public prenne conscience de l'importance des musiciens qui m'ont précédé et dont je m'inspire.

Quant aux musiciens, ils devraient tous avoir entendu au moins une fois dans leur vie, Skip James ou Mississippi John Hurt pour composer la musique du troisième millénaire. En fait, j'ai le sentiment de faire partie d'une longue chaîne, les Stones ou Led Zeppelin ont bien fait connaître Willie Dixon à toute une génération.

Question : Tu ne cites pas Taj Mahal, mais j'ai souvent pensé que tu partageais avec lui à la fois cet appétit de culture musicale et le goût des rythmes des Caraïbes...

Réponse : Évidemment, mais j'évoquais le passé. Taj Mahal a eu d'autant plus d'influence sur moi que mes parents m'ont emmené assister à ses concerts quand j'étais tout môme. En plus, lui a connu les gens dont je te parlais. Mississippi Fred Mc Dowell par exemple, qui a eu son heure de gloire tardive quand les Stones ont repris son "You Got To Move" mais jouait déjà dans les années 30. Tu vois, c'est vraiment une chaîne.

Question : Et les Caraïbes ?

Réponse : C'est pareil, j'ai toujours adoré Bob Marley, qui lui-même a débuté en interprétant, notamment, des morceaux des Impressions. Une chaîne, je t'assure...Et c'est formidable, parce que si tu renoues avec cette histoire, tu as la possibilité d'utiliser tout ce que ces artistes importants ont créé. Pour créer à ton tour. Le groove suscite le groove.