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Steve Lukather (2)

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Guitariste et chanteur du groupe -ToTo-
Guitarist Magazine n°155 - avril 2003

Question : Comment t'es venu cette envie de devenir musicien de séance ?

Réponse : Je n'ai jamais vraiment voulu le devenir, je le suis devenu pendant mes années de fac, entraîné par le regretté Jeff Porcaro et toute sa troupe. Je devais avoir 18 ans, de mémoire...Jeff et Mike jouaient avec beaucoup de gens et ils adoraient mon style de guitare. Du coup, Jeff m'a imposé naturellement à ses différentes séances. Petit à petit, je me suis retrouvé immergé dans ce milieu, sans jamais vraiment l'avoir demandé. Un accident de parcours certes bienheureux.

Question : Tu réalisais à cette époque, ce que tu faisais ?

Réponse : Non, même si je jouais avec la plupart de mes idoles comme Bozz Scaggs et d'autres qui ont bercé mon adolescence. Ce n'est que bien plus tard que j'ai compris que j'avais joué sur les albums les plus importants de toute une génération, même si j'ai joué aussi sur des merdes.

Question : Quelles étaient, dans les années 70, les principales qualités nécessaires pour être guitariste de séance ?

Réponse : Beaucoup pensent que c'est un métier facile, mais ils se trompent. Il demeure impératif d'être incroyablement talentueux pour rester toujours au top et avoir une ouverture musicale très large. Être capable de répondre présent en toute circonstance dans tous les répertoires qui existent. Un piètre guitariste ne pourra jamais occuper ce job. Il ne suffit pas de savoir lire la musique, cette partie de notre métier est la plus simple et le minimum demandé.

Question : Justement, travaillais-tu avec des partitions, à partir de maquettes...?

Réponse : Non, sauf pour les musiques de films, où le travail se révélait plus rigoureux. Lors d'une séance, j'avais toujours le même rituel : après m'être installé, je branchais mon matériel, j'écoutais en même temps, une ou deux fois, la maquette de l'artiste, puis j'enregistrais quasi immédiatement mes parties de guitares. A la fin de la première prise, je demandais les changements qu'ils souhaitaient que j'apporte, je les réalisais, puis je repartais à la séance suivante.

En général, il ne me fallait pas plus de trois ou quatre prises pour y parvenir. J'ai toujours laissé parler mon instinct, c'est lui qui a fait la différence à chaque fois. C'est aussi grâce à ma rapidité que je grillais les autres guitaristes de séance qui tournaient à Los Angeles.

Question : Tu es réputé pour être l'un des guitaristes qui possède le plus de séances à son actif. Cette étiquette t'a d'ailleurs suivi longtemps. Comment la vis-tu ?

Réponse : A raison de douze heures de séances par jour, six dans la journée et six en soirée, pendant plusieurs années, je ne peux renier cette étiquette. Cependant, très longtemps, elle m'a agacé. Je trouve que ceux qui me l'ont collée ont toujours leurs doigts au fond du cul. Depuis 1977, je suis guitariste, compositeur et chanteur du groupe Toto et depuis les années 90, j'ai levé le pied sur les séances pour ne me concentrer que sur le groupe. Alors, il faudrait peut-être qu'ils se retirent les doigts du cul !!! De toute façon, je continue à très bien vivre de mon métier et ils peuvent penser ce qu'ils veulent, au final : je les emmerde...

Question : Comment expliques-tu que les principaux musiciens de studio de l'époque se sont retrouvés à former Toto ?

Réponse : J'ai toujours joué dans un groupe de rock et...nous étions les meilleurs, disons que c'étaient les meilleurs avec lesquels j'avais l'habitude de jouer. Nous nous entendions très bien musicalement et humainement. De plus, nous n'étions pas légion non plus. Il y avait quelques guitaristes, mais à part Jeff et Steve Gadd, et plus tard Vinnie Collaiuta, les batteurs étaient assez peu représentés dans ce circuit. Jeff et Mike Porcaro avaient squatté les séances.

Question : Revenons à notre sujet, les séances se révèlent-elles finalement toutes identiques ?

Réponse : Non. L'atmosphère et la musique donnent un aspect unique à chaque séance, même si tu enregistres avec le même artiste plusieurs fois de suite. Toutes les fois que tu te mets dans la cabine et que l'on te demande de jouer, tu ne sais jamais ce qu'il va sortir. Parfois, tu exploses de rire tellement le résultat se révèle navrant et d'autres fois, tu remercies le ciel de t'avoir donné l'inspiration et la chance de l'avoir saisie pour avoir joué la note juste ou le riff qui coiffe. L'art, et la musique en particulier, provient de ces instants magiques qui ne se répètent jamais mais que nous recherchons tous à chaque instant.

Question : Comment viviez-vous ces moments privilégiés ?

Réponse : Nous étions plutôt timides au départ, mais très vite avec l'assurance, Jeff et moi avions un comportement à la limite de l'intolérable : des punks buvant des litres de bière et fumant des joints à longueur de journée ! Nous trouvions drôle d'avoir le comportement de rebelles qui s'amusent comme des gamins, tout en étant irréprochables professionnellement. Nous savions que cela en agaçait certains mais qu'ils ne voulaient pas embaucher d'autres musiciens à notre place, alors nous en profitions jusqu'à donner des séances plus qu'épiques, je te le promets. Demande à Barbara Steisand...Malheureusement, je ne pourrais pas t'en narrer le centième, tellement nous avons poussé le bouchon trop loin.

Question : Pourtant, au regard des artistes qui figurent sur la liste de ceux pour lesquels tu as enregistré...

Réponse : Et alors ! Ils n'engageaient pas un chercheur en médecine ni en métallurgie, mais un musicien capable de leur donner le meilleur de lui-même afin d'apporter à leur travail la touche magique. Si j'avais été incapable de cela et que je n'étais que le petit con qui vient foutre le bordel dans le studio, personne ne nous aurait rappelé. Les artistes reconnaissaient nos valeurs, ils s'en servaient et nous étions payés pour. C'est tout.

Question : Qu'en est-il des rumeurs selon lesquelles tu aurais remplacé des guitaristes de groupes mythiques qui étaient incapables d'enregistrer en studio ?

Réponse : C'est vrai, c'est arrivé plein de fois ! J'ai enregistré autant de disques sur lesquels j'ai été crédité que ceux sur lesquels je ne l'ai pas été. J'ai joué notamment sur l'album "Dream Police" de Cheap Trick, pour la plupart des séances de guitares du groupe "The Tubes", et qui n'arrive toujours pas à reprendre correctement mes soli. Même pour Kiss, Gene Gimmons n'étant intéressé que par l'argent, c'est Mike Porcaro qui a enregistré bon nombre de ses parties de basse. Cette méthode se révèle très courante à Los Angeles. Même encore aujourd'hui, plus que jamais et personne ne le remarque...

Question : Penses-tu justement que les séances se révèlent plus faciles de nos jours ?

Réponse : Oui, il existe beaucoup de jeunes groupes et de mauvais guitaristes qu'il faut remplacer à la dernière minute en séance ! Ils écrivent des chansons simples, mais qu'ils n'arrivent pourtant pas à mettre en place. La plupart de ces groupes ne sont que du "show" et les maisons de disques tentent de les convertir en business. Parfois, cela marche plutôt bien. Cela me navre de voir des gamins, à la carrière rapide, qui rêvaient d'une vie de rock stars et qui n'ont aucun talent, mais qui vendent des disques par palettes et qui ne méritent même pas d'être exposés.

Question : Comment vois-tu évoluer cette profession ?

Réponse : Les excellents musiciens de studio vivront toujours très bien de leur travail. Toutefois, la propagation, ces dernières années, des home-studios a fait considérablement baisser le nombre de séances. Cependant, les bons guitaristes se font moins nombreux aussi, il y a donc une justice, non ? Les jeunes veulent devenir des rock stars et pour le devenir, il n'est pas nécessaire d'être un excellent musicien, mais d'avoir une bonne gueule et une attitude...

De mon temps, nous pratiquions l'instrument plus de douze heures par jour, aujourd'hui, les instrumentistes pensent d'abord à draguer, boire, se défoncer et quand ils ont le temps, à jouer de la musique ! Session Man n'est plus un métier qui donne envie. Du coup, la concurrence se révèle moins importante, tant mieux pour les vrais musiciens.

Question : Quelles sont les choses les plus difficiles dans ce métier ?

Réponse : Les heures, les plannings surchargés, les heures passées d'un studio à un autre, sans faire de musique. Et, les décibels qui ont fini par avoir raison d'une partie de mes qualités auditives. J'ai aussi les oreilles endommagées à force de les avoir collées pendant des heures et des heures à un casque qui me balançait de la musique très forte.

Question : Qu'est-ce que ce métier t'a apporté ?

Réponse : La plus belle expérience du monde. La gloire, l'argent, la célébrité et le plaisir de vivre de ma musique, même si j'ai gagné bien plus d'argent et de popularité qu'avec Toto. J'ai joué avec les plus grandes stars du monde et j'appartiens au plus grand groupe de rock "mainstream" du monde.

Question : Un conseil pour ceux qui voudraient suivre ta trace ?

Réponse : Personne ne le voudrait, c'est une vie tellement dure...Il n'y a pas une grande place pour la créativité. Cependant, si certains sont assez fous pour le vouloir, je ne dirais qu'une chose : ne faites jamais que des séances pour les autres. Travailler toujours en parallèle sur votre musique, elle vous permettra de toujours garder l'énergie afin d'aller jouer parfois de la musique de merde, juste pour vous acheter une nouvelle maison, ou une nouvelle voiture...!

 


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