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Interview
de Keith Richards donné à l'occasion de la sortie d'un
double CD des Stones "40 Licks"
Question
: Vous
souvenez-vous quand vous avez commencé à voir apparaître
des groupies "professionnelles" ?
Réponse
: Oh
oui, ça devait être en 1966 ou 1967. Je me souviens
notamment des "Butter Queens" (Reines du beurre).
Il y avait de vrais équipes de nanas, prêtes à se conduire
comme des groupies professionnelles. Apparemment, elles
étaient capables de faire énormément de choses avec
du beurre...
Je les voyais souvent tourner autour
de nous, mais j'avais pris l'habitude de les éviter
comme la peste. Du coup, elles ne m'ont jamais rien
fait avec du beurre.
Une autre "équipe"
avait pris de drôles d'habitudes : "Hey, on
a un moule en plâtre des parties de Robert Plant. Tu
veux ajouter les tiennes à notre collection ?"
Non, non, je n'ai jamais voulu faire partie de la collection
de personne !
Question
: Les
Stones ont-ils été les pionniers en matière de riffs
avec des chansons telles que Satisfaction ou
The Last Time, quels ont été les premiers titres
à avoir pour base une accroche guitaristique ?
Réponse
:
Je ne sais pas. Parfois, c'est assez facile de se laisser
porter par des théories qui flattent ce que tu as pu
faire ou inventer. Quand j'ai écrit Satisfaction,
je ne pensais pas à écrire le riff suprême. Je ne pensais
pas du tout en ces termes.
Tout s'est déclenché
quand Gibson m'a donné une des toutes premières pédales,
la Fuzztone. C'était un nouveau gadget offert par un
revendeur local.
En fait, à la base, je ne pensais
pas du tout à un riff de guitare sur Satisfaction,
plutôt à un riff de trompette. La manière dont Otis
Redding a fini par l'interpréter est sûrement plus proche
de ma conception originale de la chanson.
Quand
j'ai eu la fuzztone, je me suis dit : "Tiens,
c'est parfait pour imiter la ligne de trompette à laquelle
je pense." On a donc laissé la piste en suspens
parce que, dans mon esprit, on reviendrait pour poser
la trompette. On est reparti en tournée...
Mais
deux semaines plus tard, j'entends la chanson à la radio.
Et je dis : "Mais c'est juste une démo!"
Et on m'a répondu : "Non, c'est un tube !"
Mais
au moins, Otis a eu raison...Satisfaction a au moins
servi de démo à Otis ! A l'époque on enregistrait tout
sur quatre pistes, il n'y avait pas de : "Tiens,
si on rajoutait des violons !" A la base, il
fallait jouer dans le studio. Le seul choix possible
était soit de garder la prise, soit de l'effacer pour
la recommencer.
Tout ceci a changé très vite,
bien sûr, on est passé à huit, seize et bientôt vingt-quatre
pistes en l'espace de quelques années. Tout le monde
essayait alors d'utiliser un maximum de pistes. Pour
autant, les disques ne sonnaient pas mieux, et ils étaient
plus longs à faire.
Question
: "Let
It Bleed" fut le dernier album à inclure la participation
de Brian Jones. Après tout ce que vous aviez traversé
l'un l'autre, était-ce difficile de le voir quitter
le groupe ?
Réponse
: Oui
naturellement. J'ai quand même eu beaucoup de bons moments
avec Brian. C'était un musicien extraordinaire, un type
avec qui il était très agréable de jouer. Spécialement
en tant que guitariste. La virtuosité, c'est bien, mais
mon truc, ça a toujours été de rechercher l'alchimie
entre deux guitaristes, voire trois ou quatre.
Si
tu tombes sur le bon mec, tu peux déjà sonner comme
un groupe. Et quand tu as connu ça avec quelqu'un, c'est
toujours une souffrance de voir partir cette personne...Mais
Brian était devenu impossible. Il avait vraiment dépassé
les bornes. On n'en était plus à : "Il boit
décidément trop" ou "Il prend trop
de drogue", on le sentait prêt, voire décidé,
à se tuer d'une manière ou d'une autre.
Je crois
qu'il voulait être Mick Jagger et qu'il ne comprenait
pas qu'il ne pourrait jamais le devenir. Ceci l'a emporté.
Il cherchait des noises à tout le monde, y compris à
lui-même. Je ne pense pas qu'il appréciait le confort,
il le refusait, quitte à ce que ça le conduise à la
mort.
C'était devenu tellement insupportable,
qu'on a été obligé de le virer...Une tâche pourrie!
Surtout qu'il fallait aussi préserver le groupe. On
a dit à Brian : "Si tu n'y mets pas du tien,
tu te mets hors-jeu, mec. Si tu n'es pas là quand on
travaille, ou si tu es là mais complètement défoncé,
on ne peut plus travailler ensemble..."
C'était
un peu le syndrome des Beach Boys...Il a répondu : "Oh,
ne vous inquiétez pas pour moi, j'ai mes plans perso,
de nouveaux projets, vous savez." Personne
ne pouvait alors se douter qu'il serait mort quelques
mois plus tard.
Question
:
Avez-vous atteint la même symbiose avec Mick Taylor
?
Réponse
:
C'était très différent d'avec Brian, bien sûr. J'avais
pas mal de choses à reconsidérer, des points qui devaient
à nouveau retenir toute ma concentration. Mais Mick
est un guitariste brillant, gentiment sophistiqué, avec
une énergie très...douce et un grand sens de la mélodie.
Je
n'ai jamais compris pourquoi il avait quitté les Stones.
Je lui en ai parlé à plusieurs reprises et je pense
qu'il était convaincu de pouvoir s'épanouir à l'extérieur
du groupe. Il voulait être producteur, écrire des choses,
et pas qu'un simple exécutant. Il voulait grandir par
lui-même, s'accomplir.
C'était une décision
dénuée de bon sens à l'époque, mais très mûrement réfléchie
: quitter les Stones pour faire autre chose...Je ne
voulais pas le voir partir. On avait eu le chance de
trouver un nouveau guitariste après Brian, Mick et moi
travaillions très dur à l'époque, ça m'a mis un coup,
je me suis dit : "Oh, non. Pas encore..."
Mick
Taylor était vraiment un type très timide. Je pense
qu'il ne se laissait pas apprivoiser très facilement.
Le lien le plus intime que j'ai eu avec lui, c'était
en jouant de la guitare. Je veux dire, je le connaissais,
c'était un bon camarade. Mais il y a toujours eu une
retenue. Mick est un guitariste fantastique, mais il
a découvert assez difficilement que c'est tout ce qu'il
était.
Question
:
Une partie du travail le plus apprécié des Rolling Stones
a été effectué alors que vous étiez au plus profond
de votre dépendance à l'héroïne. Et ce n'est pas comme
si vous étiez un side-man, votre rôle au sein du groupe
était prépondérant, particulièrement sur "Exile
On Main Street".
Réponse
:
Vous voyez (il soulève son verre), je n'arrive même
pas à me saouler...Je suis intoxiqué. Je peux prendre
tout ce que je veux, je ne serais jamais saoul. Tout
ce que j'ai écrit et composé dans les seventies, alors
que j'étais complètement accroc, je n'aurais jamais
fait mieux en étant complètement "straight".
Musique
et drogues, je n'arrive pas à établir une corrélation...Il
y a d'un côté ce que tu fais sortir de toi, et de l'autre
côté ce que tu fais entrer en toi. Je ne pense pas que
cela ait influencé ma manière d'appréhender la musique.
Tout ceci est à dissocier. Je voulais surtout
conserver mon équilibre intérieur, je n'ai jamais rien
calculé, et une fois que tu es dépendant, il est très
difficile de s'en sortir. Mais ça n'est pas impossible.
Ce n'est pas comme si on vous enlevait une jambe définitivement...
Question
:
Quand vous êtes sorti de votre dépendance au début des
années 80, quel effet cela vous a-t-il fait d'affronter
une foule libéré pour la première fois depuis des années
?
Réponse
:
C'était incroyable. Je pense que ce sont surtout des
gens présents dans mon entourage et dans celui du groupe
que je ne voulais pas affronter, mais pas le public.
J'ai toujours adoré ce contact. D'ailleurs, j'étais
rarement dépendant en tournée, je faisais le nécessaire
pour être clean avant de partir.
En fait, je
ne voulais avoir à me battre pour trouver de la drogue
dans des villes que je ne connaissais pas. Ce qui m'a
induit en erreur dans un certain sens, parce que j'étais
persuadé de pouvoir m'arrêter quand je le souhaitais.
Mais bien sûr, quand la tournée s'arrêtait, je me disais
: "Ah, c'est le moment de se relaxer." Et
je replongeais brutalement. Je ne réprime pas complètement
la dope, mais il ne faut pas sombrer dedans. Et si tu
es déjà dedans, il faut absolument t'en sortir...
Question
:
Quelles chansons vouliez-vous voir figurer sur "40
Licks" pour représenter les années 80 ?
Réponse
:
Période difficile. C'est pourquoi vous ne trouverez
pas grand chose des années 80 dessus...
Question
:
Comme vous dites, période difficile pour les Stones...
Réponse
:
Pour moi particulièrement, parce que j'avais été sous
drogues pendant une grande partie des années 70. Et
j'avais laissé Mick reprendre le contrôle des Stones
au quotidien. Il était en train de subir le même syndrome
que Brian. Lorsque je m'en suis sorti, j'ai dit à Mick
: "Je peux à nouveau t'aider. Laisse-moi porter
une partie du fardeau."
Mick a cru que
je voulais reprendre le contrôle total, l'éloigner du
pouvoir, ce qui n'était pas vraiment le cas. Il s'était
persuadé de ça et ne voulait pas s'en démordre. J'ai
eu une période très délicate avec Mick au début des
années 80. Cela a donné des chansons telles que "All
About You" ou d'autres plus nombreuses sur les
disques des -Winos- (le side-project de Keith, the X-pensive
Winos).
Le point culminant se situe en 1985,
à la fin de "Dirty Work", qui a été notre
troisième guerre mondiale. Il était tellement hautain
avec tout le monde que c'était juste devenu inacceptable
à mes yeux. Alors on s'est dit : "Ok, on fait
un break pour voir ce que chacun est capable de faire
par ses propres moyens."
Je pense que
tout le monde, à la possible exception de Mick lui-même,
a retenu la leçon suivante : Mick Jagger est bon lorsqu'il
est avec les Rolling Stones. Mais quand il est seul,
personne n'en a rien à foutre...Qu'il comprenne le message
ou non. Mais il le comprend, sinon il ne serait pas
sur ce projet...
Question
:
Quel est votre avis sur Mick en tant que guitariste
?
Réponse
:
Au niveau rythmique, à l'acoustique, c'est un bon. Je
ne l'ai jamais laissé s'approcher d'une électrique si
je pouvais faire autrement. Il est comme Bob Dylan.
Pareil. Aucune sensibilité pour l'électrique...

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