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Question
: Ta carrière semble placée sous le signe du revival,
après le rockabilly avec les Stray Cats, le swing
avec l'Orchestra. Tu n'as pas parfois l'impression
d'être plus tourné vers le passé que l'avenir ?
Réponse
: Tu as peut-être ce sentiment, moi pas. Ce qui
différenciait déjà les Stray Cats de tous les autres
groupes de rockabilly de l'époque et, il y en avait
beaucoup, c'est que nous apportions quelque chose
de nouveau. Je n'ai jamais été bloqué dans les années
50, comme si la musique et le monde s'étaient arrêtés
depuis. Cela m'a toujours paru absurde et ennuyeux.
J'ai toujours pensé que la seule façon de bien faire
de la musique, c'est que ce soit la vôtre et qu'elle
soit nouvelle. Même quand j'avais la sensation de
me trouver dans un gigantesque Scenic Railvay, accélérant
avec le succès, je n'ai jamais été tenté par autre
chose.
Pourtant, à 20 ans, la tête te tourne
facilement et les conseillers ne manquent pas. C'est
à cause de cela que les Stray Cats sont devenus
et restés populaires ou que l'Orchestra rencontre
aujourd'hui le public. Parce que je ne me contente
pas de reprendre simplement les vieux tubes de Glenn
Miller en les réarrangeant d’une façon plus actuelle.
Je ne fais pas de la musique swing, j’y ai introduit
du rockabilly et un peu de jazz. Cela c’est nouveau,
et d’ailleurs personne ne croyait que cela allait
marcher.
Question
: Comment es-tu passé de la fin des Stray Cats aux
débuts du Brian Setzer Orchestra ? Réponse
: J'avais déjà cette idée pendant notre dernière
tournée en 1992. Lee (Rocker) et Jim (Phantom) le
prenait d'ailleurs assez mal, mais je pense qu'on
était tout simplement au bout de la route. Sans
plaisir, sans énergie. On avait pourtant fait un
bon album, avec Dave Edmunds (Choo Choo Hot Fish),
mais pour un petit label et personne ne s’en était
rendu compte. Les salles étaient à moitié vide et
cela commençait à vraiment me peser de tourner dans
ces conditions après ce qu’on avait vécu.
Il
y avait un gouffre entre ça et entendre «Runaway
Boy » sur n'importe quelle radio, quel que soit
le pays où l'on se produisait. Un gouffre qui s'est
transformé pour moi en distance vis-à-vis des Stray
Cats. J’ai dit aux autres que j’allais me lancer
dans ce que j'avais vraiment envie de faire à ce
moment-là. D’autant que cela me travaillait depuis
longtemps. Très longtemps même. Depuis mes premiers
pas à la guitare, guidé par un vieil italien de
New York qui m’a appris mes premiers accords de
jazz. J’ai toujours voulu m'en servir un jour différemment.
J’y pensais même quand les Stray Cats ont été invités
au Tonight de Johnny Carson à la télé pour notre
premier hit, «Rock this Town». Il y avait un grand
orchestre et j'avais envie de leur demander de jouer
avec nous. Je ne me rendais pas compte que sur un
plateau de télé, les choses ne se passaient pas
comme dans un club.
Question
: Donc tu as démarché les maisons de disques pour
trouver un contrat pour le Brian Setzer Orchestra
? Réponse
: Pas du tout. Mon idée, c’était d'abord de mettre
les Stray Cats de côté pour un temps, de me mettre
à écrire les chansons pour un grand orchestre et
de faire quelques concerts, pour voir. En fait,
j’ai rapidement vu, que d'une part cette histoire
allait m’accaparer plus que je ne croyais et qu'en
plus, les gens pensaient que j'étais fou. Qu'aucun
patron de club ne se mouillerait pour engager un
groupe que personne ne connaissait, surtout qu'il
s'agissait d'un grand orchestre avec la guitare
en instrument lead et que cela allait coûter bonbon.
Tout le monde m’a dit d'oublier ça. Moi, j'ai voulu
continuer, j’ai écrit les morceaux et j’ai réuni
les musiciens, des jazzmen habitués des séances
de Los Angeles. Ceux qu'on appelle souvent quand
les artistes rock ont besoin d'une section de cuivres
pour certains morceaux. J'ai dû les convaincre que
je voulais autre chose, que je n'étais pas simplement
un guitariste jouant fort qui voulait de jolies
pêches de cuivres pour mieux s’exhiber.
Je
leur ai expliqué que je les respectais, pour ce
qu'il étaient, et que mon but était de former un
orchestre, un véritable grand orchestre dont ils
allaient devenir partie prenante. Que je voulais
réellement créer un groupe de musiciens aussi soudé
qu'un trio rock'n'roll. J'espérais que leur confrontation
avec le public auquel j'étais habitué leur fasse
prendre conscience de cela. Résultat, les premiers
tourneurs voulaient annuler les concerts. Il n'y
avait que quelques dizaines de tickets vendus. Je
leur ai dit que s'il le fallait, je paierai l'orchestre
de ma poche, mais que cela avait été trop loin et
que je n'étais pas prêt à renoncer. Heureusement,
parce qu'il y a eu un bouche à oreille monstrueux
et que nos concerts ont tout de suite rempli les
clubs de Los Angeles. Là je n'avais plus besoin
d'expliquer aux musiciens ce que je voulais faire.
Ni d'aller chercher les décideurs des maisons de
disques qui venaient d'eux-mêmes attirés par la
rumeur. La bonne musique est le meilleur des passeports.
Question
: Tout s'est passé assez vite alors ?
Réponse
: Tu veux dire qu'on a signé si rapidement pour
faire un premier album que je n'ai pas eu le temps
d'écrire suffisamment de morceaux. Du coup, on a
été contraint de se contenter de reprises. Je me
suis rattrapé au deuxième que j'ai pu davantage
tirer vers le rock, comme j'en avais le projet.
J'ai surtout pu nettement mieux intégrer ma guitare
rockabilly à l’ensemble. J'étais sûr que cela fonctionnerait
bien.
Question
: Ce qui m'étonne, c'est ton apparente facilité
à écrire pour un orchestre de 17 musiciens alors
que jusque là tu le faisais pour un trio...
Réponse
: Ce n'est pas si différent. La partie purement
composition n'est pas plus difficile pour un trio
ou un grand orchestre. J'aurais pu balancer à certains
moments une chanson par jour aux Strat Cats, mais
ce n'est pas comme cela qu'on fait de la musique.
Il faut penser aux parties que chacun va faire,
même dans un trio, revenir sur ce que cela peut
changer à ton idée de départ et développer l'ensemble
si tu veux arriver a un morceau qui tienne la route.
Avec un grand orchestre, c'est la même chose, sauf
que tu as le sentiment d'avoir à écrire un livre,
pas une nouvelle.
J’ai beau savoir écrire
la musique, je me suis fait aider par le trombone
ou par Patrick Williams, qui a travaillé pour Frank
Sinatra. Je finissais par me perdre dans la façon
d'arranger les voies des cuivres. Au début, tu as
tendance à en faire trop, surtout à profiter de
la puissance dont tu disposes pour en rajouter des
couches, sans assez mettre en valeur les différents
instruments et les solistes. J'adore la façon dont
Count Basie savait faire cela, mais on ne s’improvise
pas Count Basie. Enfin... tu finis par te calmer
et tu apprends à laisser suffisamment d’espace pour
que chacun puisse s'exprimer, y compris moi.
Question
: A ce propos, as-tu fait évoluer ton jeu de guitare
entre les Stray Cats et le Brian Setzer Orchestra,
à l'écoute cela ne semble pas si évident...
Réponse
: C'est normal parce que je ne joue pas différemment.
La seule chose qui change c'est que je suis obligé
de tout écrire, y compris les chorus, pour que l'orchestre
s'y retrouve. Tu ne peux pas avoir la même souplesse
en passant d'un trio rockabilly à un big band. Avec
cinq saxos, quatre trombones et quatre trompettes
dans la section de cuivres ce n’est pas possible
Cela n’empêche pas que mon guitariste favori reste
Chuck Berry. Question
: On dit que tu t'intéresses plus à tes voitures
qu'à tes guitares. Gretsch a pourtant sorti des
modèles Brian Setzer qui ont été conçus en collaboration
avec toi et ton guitar-tech, Rich Modica, alors
? Réponse
: Alors la Gretsch Brian Setzer Hot Rod est disponible
en finition mandarine métallisée, exactement comme
mon hot-rod préféré. L’important c’est ce que je
te disais tout à l’heure, c’est d’avoir son style.
Guitares ou voitures, j’aime les gens qui osent
s’affirmer.

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